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Sylvain Cubizolles
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Sylvain Cubizolles, « Football de rue et jeunes adultes à La Réunion », Influxus, [En ligne], mis en ligne le 2 septembre 2016. URL : http://www.influxus.eu/article1051.html - Consulté le 21 novembre 2024.
Football de rue et jeunes adultes à La Réunion
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Résumé
Cet article porte sur le football de rue à La Réunion. Il examine cette pratique urbaine à partir d’un groupe de jeunes adultes et des ajustements identitaires que ses membres effectuent à l’occasion de cette rencontre. Issus d’un environnement créole modeste, les membres du groupe utilisent ces parties informelles pour répondre à une double exigence identitaire : incarner une figure de jeune adulte ; faire en sorte que cette figure s’accorde avec celle diffusée par les standards mondialisés et avec celle héritée du monde créole. Pour examiner ce travail d’ajustement le texte aborde trois points. D’abord, il présente la « coupure » qui caractérise la société réunionnaise depuis 1946 (date de la départementalisation de l’île) et brosse le tableau social des jeunes qui participent à ces rencontres. Il retrace ensuite une brève histoire des espaces de jeu footballistique du quartier où se déroulent ces parties informelles et montre comment ces espaces, grâce à la règle de la libre participation et de l’engagement électif, offrent aux joueurs l’occasion de réaliser une première dimension de cette figure de jeune adulte. Il rapporte, pour finir, des extraits de conversations du bord de touche et montre, à travers le jeu de références qui les anime, l’ordre diglossique qui les hiérarchise et comment au sein de celui-ci les joueurs composent, au cours des interactions verbales, le détail d’une figure de jeune adulte qui articule des références aux standards mondialisés et à ceux de la créolité pour échapper aux stigmatisations du classement diglossieAbstract
The article is about street football in Reunion Island. It examines this urban practice, based on a group of young adults and the identity adjustments its members perform in the course of such meetings. The members of the group, who are from a humble Creole background, use those informal games to meet two identity requirements – striking a figure as a young adult; ensuring that that figure is in conformity with the one disseminated by globalised standards as well as the one inherited from the Creole world. In order to examine that adjustment process, the text addresses three points. First, it presents the ‘rift’ which has characterized Réunion society since 1946 (the year when the Island became a French ‘Département’) and provides a social picture of the youth who participate in such games. Then it retraces a brief history of the football spaces in the neighbourhood where those informal games take place, and shows how those spaces, thanks to the rule of free participation and elective commitment, provide the players with an opportunity to reach that first dimension – the young adult figure. Last, the article reports excerpts of conversations from the sidelines and shows, through the interplay of references apparent in them, the hierarchy within them and how within that framework the players will work out, in the course of their verbal interactions, the detail of young adult figures who relate their references both to globalised and Creole standards, so as to escape the various stigma of hierarchical categorization.Cet article porte sur le football de rue à La Réunion. Il examine les ajustements identitaires effectués par de jeunes adultes de milieux populaires à l’occasion de parties de football informelles. Issus d’un environnement créole modeste, ceux-ci utilisent ces rencontres pour composer une figure statutaire de jeune adulte qui répond à la fois aux exigences des standards mondialisés et à ceux du monde créole dans lequel ils vivent. Si ces ajustements se réalisent grâce à l’« universalité » du football et à la plasticité de sa forme auto-organisée, ils se produisent aussi grâce à une transformation de l’urbanité réunionnaise, les villes, à partir des années 2000, ayant installé dans certains de leurs quartiers des mini terrains de football en libre accès. Ces espaces ludo-sportifs ont institué de nouvelles sociabilités footballistiques et ont ainsi offert aux jeunes adultes des supports supplémentaires d’expression identitaire [1].
Ce texte s’appuie sur une enquête ethnographique de deux ans, menée de 2003 à 2004, au cours de laquelle nous avons suivi un groupe de jeunes qui se réunissait tous les dimanches matins pour jouer au football sur les mini terrains en gazon synthétique laissés en libre accès par la ville de Saint-Louis. Nous avons participé à cinquante-huit rencontres qui ont donné lieu à un patient travail d’observation (les faits étaient régulièrement consignés dans un journal de bord) et d’enregistrement des conversations informelles d’avant match et d’après match (n = 51). Ces données furent complétées par des entretiens individuels avec les joueurs (n = 20).
L’objet initial de cette recherche ayant été d’observer les négociations et les ajustements effectués par ces jeunes pour accéder à un temps pour soi et venir à la partie de football (Cubizolles, 2007, 2010). Le recueil de données ne s’est pas exclusivement concentré sur le jeu et les éléments qui l’organisent. Il s’est aussi intéressé à la vie en amont et en aval de ces parties et a pris en compte leurs longs échanges d’avant match et d’après match, les discussions préparatoires dans la sphère domestique, les aventures du week-end qui, pour une fraction du groupe, devançaient ou prolongeaient les matchs. Ce recueil a permis d’obtenir des informations sur la manière dont la rencontre de football du dimanche matin s’insère dans une longue suite d’ajustements individuels et collectifs et sur la manière dont ces rendez-vous dominicaux participent à une reformulation de soi en offrant une séquence de temps privée ou un espace personnel. Bien qu’il n’y paraisse — cette réunion d’individus disparates privilégiant généralement une forme de « parlure vacante » [2]—, les échanges et les discussions qui ont lieu lors de ces séances de football dominicales charrient un nombre important d’informations sur la vie des individus qui, parce que ces regroupements concentrent généralement une catégorie d’âge, décrivent des situations partagées. C’est donc principalement à partir de ce corpus de conversations qui se déroulent avant et après la partie et où les joueurs échangent sur les rencontres précédentes comme sur les oscillations de leur quotidien, que nous examinerons le travail statutaire effectué par ces jeunes auquel participent ces rencontres du dimanche matin.
Les conditions de recueil de ces conversations, où l’enquêteur n’est pas à l’origine d’une demande d’information, laissent aux joueurs une grande liberté de ton et de propos, les sujets abordés et les idées formulées sur le bord de touche étant avant tout destinés au groupe. Cette émergence spontanée a comme premier avantage de ne pas enfermer enquêté et enquêteur dans une relation de face à face, où le premier se plie aux exigences d’un discours formel qui répond à une demande dissymétrique et qui peut l’amener, pour faire bonne figure, à livrer des propos altérés pour aller dans le sens de celui qui l’interroge. Elle a comme deuxième avantage, quand l’enquêteur n’est pas Réunionnais, comme c’était notre cas, d’atténuer les précautions envers lui, l’institution ou la culture qu’il représente, les jeunes, durant leurs échanges, ayant surtout comme préoccupation d’apparaître à leur avantage dans les conversations du groupe. Enfin, troisième profit de ce « parler frais », celui, pour l’enquêteur, d’avoir l’impression de saisir les ajustements statutaires en train de se faire : les jeunes, lorsqu’ils se mettent en scène et parlent d’eux, qu’ils commentent les propos de l’un ou les attitudes de l’autre, signifiant par petites touches la figure du jeune adulte qu’ils souhaitent matérialiser — ou, du moins, la rendre lisible aux autres — en explicitant suffisamment le positionnement qu’ils adoptent parmi une combinaison de références possibles.
Les ajustements statutaires qui se produisent pendant ces parties dominicales sont présentés en trois temps. D’abord, nous reviendrons sur la « coupure » qui caractérise la société réunionnaise depuis 1946, date de la départementalisation de l’île, et qui entretient une forte hiérarchie entre les éléments hérités d’une société coloniale agraire et ceux de la société industrielle qui ont été importés. Nous dresserons aussi un tableau de la situation sociale des joueurs pour montrer quels traits prend cette « coupure » chez ces jeunes de milieux populaires. Ensuite, à travers une brève histoire des espaces de jeu du quartier dédiés aux parties de football informel, nous montrerons en quoi les mini terrains en gazon synthétique favorisent une sociabilité footballistique qui diffère de celles plus juvéniles répertoriées dans la littérature du domaine [3] et permet aux jeunes adultes de continuer à utiliser le football comme un support identitaire. Nous aborderons alors le principe de libre participation de ces parties et examinerons comment il offre aux joueurs un premier périmètre de définition où ceux-ci situent la figure de jeune adulte qu’ils souhaitent donner à travers la norme d’engagement. Puis, pour finir, nous examinerons les conversations du bord de touche et le jeu de références auquel elles donnent lieu, et où apparaît, d’une part, la hiérarchie d’un ordre diglossique [4] et, d’autre part, l’exercice de funambulisme entrepris par les joueurs pour, lors de ces échanges, préciser la figure de jeune adulte qu’ils souhaitent incarner tout en évitant d’être pris au piège de cet ordre diglossique, c’est-à-dire d’y être coincé d’un côté ou de l’autre.
La coupure
Si le mot ne revient pas tel quel sous la plume des générations successives d’anthropologues qui ont étudié la société réunionnaise depuis la départementalisation, l’idée de « coupure » est cependant présente chez chacune d’elles, toutes s’étant attelées à documenter ou à caractériser la séparation entre un monde insulaire hérité d’une société coloniale agraire en place de 1665 à 1946 et un monde moderne importé ayant les traits d’une société industrielle. Cette superposition de deux sociétés, Jean Benoist a été le premier à en examiner la naissance et à en souligner les tensions. Dans ses deux ouvrages majeurs sur La Réunion, Le Paysan de La Réunion (1981) et Un développement ambigu (1983), il montre comment à partir de 1946 une société industrielle, importée de métropole dans le but d’un développement accéléré de l’île, est greffée sur une société insulaire extrêmement pauvre, organisée à partir de la petite paysannerie et du système de plantation. S’instaure alors un décalage profond entre cette société industrielle, ses normes et ses valeurs, et la société locale. D’une part, cette nouvelle société n’a plus comme centre de gravité La Réunion mais la métropole, l’île étant désormais intégrée au grand ensemble d’un pays industriel et centralisateur dont les intérêts ne coïncident pas toujours avec les siens. D’autre part, cette société est édifiée autour des dépenses publiques et non autour de l’économie locale. Bien qu’elle en ait les attributs, cette société n’a donc aucune assise industrielle et n’existe que par le flux d’importations massives qui déséquilibre certains secteurs productifs traditionnels. Enfin, l’injection d’une masse monétaire croissante en direction de l’ensemble de la population et l’accès à une large gamme de biens et de services, interdits naguère par la misère et l’isolement, produisent une brusque dévalorisation des usages locaux portés par les anciennes générations, ce qui s’y rapporte devenant symbole de pauvreté, mais aussi de goût, de choix et de comportement que l’on suit lorsqu’on n’est pas « éclairé ». La volonté de transformation accélérée de l’île, « cyclone social » pour Jean Benoist, entraîne donc une forte hiérarchisation entre deux mondes distincts, celle-ci s’illustrant, par exemple, dans la permanence d’une relation diglossique entre le français et le créole (Baggioni, 1994). Désormais, c’est à la fois cette coupure entre une société importée et une société locale, et l’avènement d’un nouvel ordre social où la hiérarchie d’une modernité progressiste s’est substituée à celle d’un « colonialisme de l’intérieur » (Benoist, 1983 :21), qui seront l’objet des réflexions anthropologiques.
Toutefois, à la suite de Jean Benoist, les anthropologues réunionnais [5] ont examiné cette relation de superposition à partir de l’anthropologie culturelle et des rapports entre cultures, en se concentrant sur les phénomènes d’hybridation auxquels elle donne lieu. L’une des thématiques sur laquelle ils ont abondamment travaillé est la jeunesse, examinant celle-ci dans son rapport à la culture scolaire (Simonin & Wolff, 1992, 2002 ; Simonin, Watin et Wolff, 1997) ou aux cultures juvéniles urbaines (Wolf, 2002 ; Ledegen, 2004 ; Simonin, 2008). Dans un cas comme dans l’autre, ces travaux ont mis en avant la capacité de cette jeunesse à jouer avec la double référentialité que génère cette société superposée et ont brossé le portrait d’une jeunesse locale dotée d’une forte faculté d’hybridation culturelle [6], cette aptitude étant considérée par ces anthropologues comme un trait majeur de son mode d’exister (Ledegen, 2004 :10). Même si, à la marge de leurs travaux, ils modèrent cette interprétation et rappellent que cette capacité d’hybridation culturelle varie selon les « différences sociales » (Simonin, 2002) ou que dans un même groupe de jeunes se côtoient des expériences de la diglossie extrêmement inégales : les uns la subissant et la renforçant, alors que les autres, plurilingues et capables de récupérer les parlers les plus branchés, ne vivent pas cette hiérarchie des références sur le mode conflictuel (Bavoux, 2001 :77-78), ces chercheurs ne questionnent jamais les zones d’ombre de cette interprétation, la répétant dans leurs travaux et accréditant dans la littérature du domaine l’idée d’une jeunesse réunionnaise qui recycle sans peine les cultures importées. Or, comme le suggère Bavoux (2001), manipuler cette double référentialité ne se fait pas sans difficulté et l’on peut concevoir que ce maniement est encore plus difficile quand il conditionne les aspirations à se conformer à des modèles normatifs comme dans l’exercice compliqué des ajustements identitaires. Le cas de nos jeunes adultes footballeurs offre donc une vue moins partielle de cette capacité d’hybridation culturelle puisqu’en suivant leurs interactions verbales « à la trace », durant l’avant et l’après match, il montre les réussites et les échecs que rencontrent ces jeunes lorsqu’ils manipulent cette double référentialité dans le cadre de leur construction identitaire, l’exigence de maîtrise de cette manipulation étant cependant, comme nous le verrons, diminuée par la situation d’un entre-soi ludique.
Le groupe de footballeurs du dimanche matin [7]
Produits des premières générations installées dans des logements sociaux, faiblement diplômés, dépendant des solidarités familiale et religieuse, subissant l’immobilité résidentielle en raison du chômage ou de revenus insuffisants, ces jeunes [8] se situent en bordure de la société importée et de ses modèles métropolitains ou mondialisés, alors même qu’ils y ont été activement familiarisés à travers l’école, les médias, les loisirs, l’imaginaire consommatoire ou ses habitudes. Cette mise à l’écart s’illustre dans le rapport négatif qu’ils ont à la métropole, qu’ils déprécient ou rejettent, souvent parce qu’elle soulève en eux un sentiment désagréable d’illégitimité :
Chris : mi koné pa kosa fout an Frans, dék ou sort laéropor « le froi » i langét aou [9]
[…]
Chris : mwin la sort dann in magazin, bann vijil la suiv amwin tout, la di amwin : « toi, ouvre ton bagage ! » La fouy amwin, té kroi mwin la volé kouyon
Romuald : ou doi pous banna an prosé, banna na poin lo droi
Félicien : aou na inn-de prosé sa pousé laba
Raoul : déjà kan ou rant, dan lavion banna i trakas azot [10].
À cela s’ajoute que, sur l’île, ils sont en concurrence avec d’autres jeunes, Réunionnais aisés ou métropolitains, mieux préparés aux exigences que réclament les standards de cette société importée, parce que généralement : très diplômés, ayant connu la mobilité pour leurs études ou un premier emploi ; occupant des postes à haute qualification ou à haute valeur symbolique dans le secteur des services ou de la fonction publique ; jouissant d’une autonomie résidentielle qui les porte à s’installer dans les zones les plus prisées de l’île : le littoral ou certaines agglomérations des Hauts ; et, enfin, possédant une meilleure maîtrise des codes de cette jeunesse mondialisée, avantage dû, en partie, selon nous, au fait qu’ils soient regardés comme son expression locale (cette reconnaissance les dispensant de fournir les mêmes efforts d’ajustement). Pour les jeunes de milieu populaire, cet écart à la société importée entraîne une hiérarchisation diffuse : les situations de dépréciation ne se présentent plus ou presque plus dans le cadre des « institutions », la plupart d’entre eux ayant quitté l’école et étant amenés, durant cette période charnière, à moins les fréquenter ; ni dans le cadre professionnel, où ils sont peu en contact avec des « représentants » de cette société, leurs collègues étant le plus souvent créoles comme eux ; mais elles se rencontrent dans le cadre de la vie personnelle. C’est dans les rapports privés quotidiens que réapparaît la hiérarchie des références, quand ces jeunes cherchent à adopter les modèles importés et à les intégrer aux relations qu’ils entretiennent avec leur famille, leur bande de copains, ou leur copine. Ils doivent alors composer avec les normes de la culture locale et ses résistances, endurer une « évaluation » constante de leur capacité à s’ajuster aux modèles exogènes, cette attitude pouvant leur être reprochée et toute fausse note accentuer le double soupçon d’infidélité à la « créolité » et de condescendance à l’égard des modes d’existence qu’elle propose.
Dans ce contexte d’une forte acculturation aux modèles importés, d’une moindre aisance à s’y ajuster que d’autres jeunes, et d’une résistance de leur propre milieu, les rencontres du dimanche matin représentent un espace où, plus qu’ailleurs dans leur vie privée, ces jeunes peuvent tendre vers, ou exprimer, une figure de jeune adulte pleinement ambivalente. Une telle opportunité relève à la fois du statut particulier des mini terrains de football en gazon synthétique créés dans le quartier, du mode d’engagement par libre participation que proposent ces rendez-vous footballistique auto-organisés, et de l’usage qu’ils font dans leurs échanges de la hiérarchie des références imposée par la diglossie.
Transformation de l’urbain réunionnais et nouvelles sociabilités footballistiques
Dans notre enquête (Cubizolles, 2008), le travail biographique sur la trajectoire des joueurs et les raisons qui les ont amenés à rejoindre le groupe du dimanche matin a permis d’identifier les formes de pratiques de football auto-organisées qu’ils ont connues depuis leur enfance. À travers celles-ci, il est possible d’établir une histoire des espaces de jeu du quartier et de voir, à mesure que celui-ci s’urbanise, l’évolution des sociabilités footballistiques. Cette histoire montre comment, peu à peu, apparaissent de manière instituée des lieux dédiés à la jeunesse et de nouvelles sociabilités sportives.
À en croire les récits d’enfance des joueurs, dans les années 1980, les quartiers de Roches Maigres, Pont Neuf et Plateau Goyaves ne possédaient pas d’aire de jeu réservée au football. Les cités construites alors alignaient des Logements Evolutifs Sociaux (L.E.S.), bâtiments mitoyens à un étage en béton de forme cubique, dont la cour avant et la cour arrière reprenaient l’agencement traditionnel de l’habitat créole. Dans cet environnement, « la boutique » et le « bord chemin » étaient, comme naguère, les espaces où, au quotidien, s’exprimait la virilité du masculin et où se retrouvaient les adultes et les catégories les plus matures de la jeunesse. Les enfants, eux, jouaient sur les espaces en friche aux abords des L.E.S.
Chris raconte : « Té inn ti térin dann kartié, hin… inn ti térin la pousiér… Pa in térin délimité, pa kom jordu nana térin sintétik partou… Té jus band térin la pousiér-la, té trap de gol, de ti rosh, mét la-ba de ti rosh… » [11] (Entretien Chris)
À cette époque, toute zone libre, à proximité des maisons, constituait potentiellement un terrain de football, ces terrains, dans les souvenirs des joueurs, étant, selon l’occasion, situés à l’endroit de la « grande glissade » (une pente), sur un « terrain de roche » (un espace caillouteux), ou sur un « terrain de bosses avec un ruisseau » (un terrain vague au milieu duquel passait le lit asséché d’un cours d’eau). L’autre aire de loisir investie par les enfants était la nature environnante : la grande ravine qui borde Pont Neuf et Roches Maigres et ses petits bois où certains vont « battre carré », rejouant, comme ils le disent, La Guerre des boutons.
Au début des années 1990, la transformation urbaine du quartier de Roches Maigres, avec l’ajout à la cité scolaire d’un parc d’équipements sportifs autour du gymnase — terrains de basket et de hand-ball laissés en libre accès —, confère une nouvelle dimension aux parties de football informelles. Celles-ci quittent le « chemin » pour s’installer régulièrement sur le « black » : les terrains de hand-ball équipés de deux buts en fer. Bien que cet espace soit soustrait à sa fonction d’origine, le sport scolaire, il introduit dans l’aire du quartier un lieu exclusivement réservé à sa jeunesse et où, régulièrement, s’exprime une sociabilité juvénile, c’est-à-dire des pratiques qui échappent à la surveillance des adultes et qui empruntent leurs références à celles de ce groupe d’âge et aux univers qui lui sont consacrés (par exemple, ceux de l’école, d’un segment des médias, du sport et plus particulièrement du football [12]). Sur le « black » s’organise alors une culture jeune autour des parties où, d’un côté, les jeunes de ces quartiers s’affrontent et se hiérarchisent et où, d’un autre côté, ils tissent ou renforcent des solidarités en partageant les mêmes expériences. Un extrait de l’entretien de Félicien et un passage de celui de Bouba témoignent de l’attractivité de ce nouvel espace pour les jeunes des quartiers des alentours : « Ça s’est commencé sur le terrain de Roches Maigres là… sur le terrain de hand hein, avec un ballon, avec quelqu’un, … là il y avait tout le temps quelqu’un… Là c’était un peu la même dynamique, il y avait personne qui se téléphonait pour venir, hein… et c’était des gars, on se voyait très rarement au quotidien, mais tout le monde savait que le soir, il y avait un match de foot et parfois nou lété retrouve à nous/ nou té rotrouv anou, des matchs 12 contre 12, 13 contre 13, sur le petit terrain. » (Entretien Félicien) ; « Là il y avait tout le monde… Il y avait tous les gars de Roches Maigres vraiment […] Là on avait des gens d’ailleurs… c’était du plus haut niveau ! » (Entretien Bouba). Sur ces terrains, qui se constituent alors comme des « hauts lieux » de la culture jeune (Duret, 1996), se développe une expression de la jeunesse différente de celle qui jusque-là prévalait dans le quartier. Ces terrains, par les pratiques qu’ils favorisent, permettent aux jeunes qui résident alentour de vivre, dans un contexte qui n’y est pas toujours favorable, des identités qui ne relèvent pas des modèles endogènes. Ils contribuent par exemple, pour le basket — auquel des joueurs de notre enquête s’initient sur un des terrains du plateau scolaire —, à importer cette pratique et les éléments culturels qui y sont associés, donnant à ces jeunes le sentiment d’être en rupture avec les références communément partagées autour d’eux, comme l’explique Marcel : « c’est plutôt… c’est nous qui avons lancé un peu plus le basket, le rap, tout ça, ça commençait à venir, les mecs ils entendaient pas. » (Entretien Marcel) ; dissension d’autant plus forte que ce sport, considéré comme trop féminin, en attestent les propos de Chris, est aux antipodes des habitudes sportives de Roches Maigres, Pont Neuf et Plateau Goyaves : « Mwin la tourn amwin vér le baskét, in spor k’mwin té détés hin ! Ah ! Pou mwin, baskét lé in spor fanm ! » [13] (Entretien Chris). Toutefois, si l’intégration de ces terrains scolaires dans le paysage urbain crée un lieu d’affirmation de la jeunesse, elle n’ôte pas aux pratiques qui s’y déroulent leur caractère « sauvage », « irrégulier » ou « déviant », ces terrains, parce qu’ils sont détournés, maintenant ces pratiques et la culture juvénile qui s’y rapporte dans l’ombre d’une certaine illégitimité.
À partir du milieu des années 1990, apparaît une autre séquence urbaine. Des H.L.M sont construits à Pont Neuf et dans les quartiers en périphérie de Saint-Louis. Ces nouveaux logements s’accompagnent de la réalisation d’espaces « récréatifs ». Par exemple, à Plateau Goyaves un mini terrain de football en gazon synthétique est créé en bordure du complexe sportif qui regroupe un dojo, un gymnase et un plateau sportif scolaire à accès réglementé. De même, en 2002, à Plateau Maison Rouge, quartier voisin de celui de Pont Neuf, un autre mini terrain de football en gazon synthétique est réalisé à côté du boulodrome [14]. Dès lors, ces terrains s’inscrivent dans les quartiers comme des lieux officiellement dédiés à la jeunesse. Cette intégration dans le paysage urbain a plusieurs conséquences. D’abord, elle suscite l’enthousiasme des joueurs pour qui ces terrains font figure d’heureuses découvertes, en témoigne la réaction de Chris :
« […] E inn foi, i apél amwin, i di amwin konmsa, « alon joué balon Plato-Goyav ! » Moi m’i té koné pa s’térin sintétik hin… Moi la parti joué inn foi, la vizité, m’i di amwin : « bin lé koul s’térin ! » [15] (Entretien Chris). Réaction positive qui se comprend, d’une part, parce que les terrains en synthétique améliorent les conditions de pratique et, par exemple, comme l’illustre la discussion qui suit, diminuent les douleurs dues au « black » :
Bouba : iér navé 6/6… ou la joué su térin blak
_Candéla : non su térin mashin
Bouba : m’i jou pu su le blak, i kok tro mon jenou… i fo m’i kour 20, 30 minut avan
Michel : i fo arét joué su béton lé-ga
Candéla : ou voi sa pou lo jenou, na poin in zafér i kok plus
[…]
Bouba : sintétik i amorti aou. [16]
D’autre part, parce que ces terrains, de quarante mètres de long et vingt mètres de large, aux lignes tracées au sol, équipés de deux buts de trois mètres de large et deux mètres de haut, accentuent le réalisme des parties qui s’y déroulent, comme le dit Chris : « […] Arivé su in térin komsa, bin déja le dékor m’i di i shanj aou » [17] (Entretien Chris). Dans ce cadre, les jeunes ont alors l’impression d’évoluer dans des conditions qui se rapprochent de celles de la pratique professionnelle qui, pour eux, est le modèle à imiter. La création de ces équipements a, pour deuxième conséquence, d’attirer dans le quartier d’autres jeunes férus de football, n’habitant pas à proximité, et qui souhaitent aussi profiter de la qualité de ces terrains. Cet afflux a pour effet d’affranchir ces espaces de la communauté qui les entoure, certaines parties de football, en semaine ou durant le week-end, étant menées par des jeunes inconnus du voisinage et sur lesquels celui-ci n’a aucun contrôle social. Les terrains en synthétique apparaissent dès lors comme des espaces dont le degré d’indépendance au quartier est supérieur à celui du « black », puisque les actes de la culture juvénile qui s’y jouent ne sont pas seulement ceux des jeunes qui y résident mais aussi ceux de jeunes issus de zones urbaines éloignées, aux profils sociaux différents. Cette fréquentation disparate dote les terrains d’une forte ambivalence, puisque ils sont à la fois « dans » et « hors » les murs ; situés physiquement dans un territoire et, en partie, socialement déterritorialisés. Dans notre enquête, le groupe de joueurs du dimanche matin alimente — et profite de — ce double positionnement [18]. Tantôt ses membres utilisent ces terrains comme nacelles surplombantes, pour contempler un univers local dont ils se distancient, comme lorsqu’ils commentent le passage d’un troupeau de chèvres :
Michel : bééé, bééé… amwin m’i trouv lé koul mwin, na ankor inn ti par d’natur
Candéla : sa kan i travérs shemin
Michel : bin kan i travérs shemin, pérsone i ral azot, na in blad/blag osi koma, arét dékoné, éskuz amwin Monsieur Kabri
Candéla : fé atansion li béz aou in korn- la ! [19]
Ou lorsqu’ils se moquent des mauvaises mœurs en vigueur dans le secteur :
Anatole, qui voit la petite fille d’à côté arriver, interpelle Rocheteau et commence à imiter l’école des fans. Celui-ci, sur le ton comique, reprend les demandes faites la semaine passée par la petite fille :
Un bière pour son papa
Un bière pour son maman
Un bière pour son frère.
Tantôt ils utilisent les terrains comme accélérateur relationnel, pour renforcer leur réseau d’interconnaissance avec le quartier, comme lorsqu’un « dalon » passe à proximité :
Chris : oté Mauraia ! ! ! !
Félicien : oté ! ! !
Raoul : doudou ! ! !
Mauricien : tét pip ! ! !
Antoine : pas de vulgarité !
Maurice : sa mon kouzin !
Raymond : Antoine, Maurice commence !
Ou lorsqu’ils hèlent une jeune passante dont la frêle silhouette vibre comme un mirage dans l’air brûlant du dimanche midi :
Marcel : koi li vien rodé-la ?... Oh ! Eh ! Miss dimanche matin !
Martin : i sava an boit ou i sort an boit-la ?
[…]
Raymond : li koné navé dé-ga térla !
Marcel : au plaisir mademoiselle !
Raymond : tantine-la, la vu anou …
Marcel : li sava Score [20].
Ou pour s’y valoriser comme quand un vieux monsieur de leur connaissance passe et s’étonne qu’ils jouent sous un si gros soleil :
Le vieux Monsieur : Félicien, koman ou lé ?
Félicien : koman i lé William ?
Le vieux Monsieur : ou sort joué-la ? Joué balon ?
Félicien : oui
Le vieux Monsieur : la
Félicien : oui, nou lé fou
Le vieux Monsieur : zot parkont ou lé tré fou oté
Félicien : bin nou la anvi
Le vieux Monsieur : Rocheteau osi ?
Félicien : oui ! [21]
Le statut du terrain en gazon synthétique — espace officiellement dédié à la jeunesse et qui échappe au contrôle social du quartier tout en y étant situé — permet aux joueurs du dimanche matin de développer une sociabilité footballistique qui n’est ni celle du « terrain la poussière », ni celle du « black », ni aucune de celles remarquées dans les formes de football répertoriées dans la littérature du domaine comme le football « pied d’immeuble » (Travert, 2003), de « trottoir » (Sansot, 1992) ou « sauvage » (Mauny & Gibou, 2008). En effet, cette sociabilité footballistique se distingue d’abord de celles précitées par les catégories d’âge qu’elle rassemble, puisque celles-ci ne sont pas celles de l’enfance et de l’adolescence, mais celles de jeune adulte, la majorité des joueurs ayant entre 20 et 27 ans. Cette extension de la sociabilité footballistique à une catégorie d’âge plus mûr est en partie due au statut du terrain en gazon synthétique qui, en tant qu’espace institué, normalise ces rendez-vous dominicaux informels et leur ôte leur aspect juvénile, l’activité footballistique des jeunes adultes ne risquant pas, sur ce terrain, d’apparaître comme immature. Cette sociabilité footballistique se distingue ensuite de celles précitées par sa porosité sociale, le groupe de joueurs, bien qu’il soit constitué à partir d’un noyau d’interconnaissances, est ouvert aux nouvelles recrues qui, en raison de l’attractivité du terrain, perçu comme une scène de la culture jeune, sont fréquentes. Les parties dominicales réunissent donc régulièrement des jeunes adultes appartenant à des quartiers de Saint-Louis différents et ainsi à des horizons sociaux, qui, même s’ils sont modestes, peuvent être considérés comme éloignés. Enfin, cette sociabilité footballistique se distingue de celles précitées par le principe d’engagement sur lequel elle repose : l’électivité, qui donne les pleins pouvoirs à l’individu puisque celui-ci peut décider à sa guise de ses modalités d’engagement dans la partie. Cette sociabilité footballistique, proposée par le terrain en gazon synthétique, se présente donc comme un autre espace social du quotidien où ces jeunes adultes peuvent effectuer des ajustements identitaires et composer la figure de jeune adulte vers laquelle ils tendent.
Libre participation et positionnement vis-à-vis du monde créole et du monde importé
Dans son étude sur les formes de football d’esplanade A. Trémoulinas (2008) montre que les parties informelles qui s’y tiennent sont régies par un ordre social négocié. Il met en avant quatre principes qui assurent la bonne marche de la partie : une forte indulgence pour les joueurs mauvais ; le respect de l’intégrité physique des joueurs ; l’accueil d’autant de joueurs que possible ; le jeu porté vers l’offensive. Lors des parties du dimanche matin, la rencontre repose elle aussi sur un ordre social négocié mais celui-ci s’appuie en premier lieu sur le principe d’une participation élective : le joueur n’a aucune obligation de prendre part régulièrement à la partie et, s’il s’y engage, il peut définir, comme bon lui semble, sa manière de participer [22]. Ce principe de libre engagement, parce qu’il symbolise une autre figure du lien social et parce qu’il peut se décliner en un large éventail d’implications, est l’une des références à partir de laquelle les joueurs explicitent leur ralliement aux valeurs du monde créole ou à celles de la société importée [23]. Dans les faits, cette adhésion peut s’exprimer par la régularité de la participation au match : la présence « épisodique » ou « régulière » témoigne d’un attachement plus ou moins fort des joueurs aux valeurs créoles de l’entre-soi et du quartier, cette preuve d’attachement fort se cristallisant, par exemple, par la reconnaissance du joueur comme un « marmaille la cour [24] ». Mais cette adhésion peut aussi s’exprimer par le degré de liberté que les joueurs s’octroient vis-à-vis du groupe et de la partie quand ils y participent : plus ce degré de liberté apparait élevé, plus les joueurs sont perçus comme adhérant aux valeurs individualistes importées. Cette axiologie de l’engagement se module cependant et, si les joueurs qui ne participent qu’une seule fois sont rarement sujets à commentaire, leur présence inopinée étant regardée comme un opportunisme sans conséquence sur la vie des rencontres, la participation des autres joueurs, lorsqu’elle est suffisamment assidue, prête à interprétation. Deux tendances se dégagent alors : ceux qui prennent des distances avec les parties du dimanche matin et qui semblent par là vouloir affirmer un lien souple qui témoigne d’une appartenance sans contrainte et d’un refus d’identification à cette réunion sportive dominicale ; ceux qui investissent la vie des rencontres et affichent un lien fort avec celles-ci par leur présence régulière, par leur implication dans les différents moments du rendez-vous (avant match, match, après-match), par une identification poussée aux éléments qui le constituent (comme l’appartenance à une équipe, le style informel du regroupement, l’hétérogénéité des personnes qui le constituent…). Ces deux postures s’illustrent typiquement dans l’attitude adoptée lors du départ anticipé de certains joueurs, ceux-ci n’attendant pas la fin de la partie pour quitter leurs partenaires, le principe de libre participation les dispensant, si ils le désirent, de rester jusqu’à son terme, tacitement fixé à midi. Parmi ces partants hâtifs, il y a, d’un côté, ceux dont le comportement fait valoir leur indépendance vis-à-vis du rendez-vous, comme en atteste l’extrait de journal de terrain ci-dessous, où le joueur quitte incidemment le cours du jeu et ne manifeste aucun égard envers ses partenaires, son silence témoignant de la distance qu’il souhaite maintenir avec le regroupement dominical :
L’équipe des T-shirt rappelle plusieurs fois que ça fait trois semaines qu’ils n’ont pas gagné : « enfin ils renouent avec la victoire ! Après ce quatrième but, le jeu reprend, mais du côté des sans T-shirt l’allant n’y est plus. Michel tente bien de remotiver ses partenaires, il dit : ‘’allez les gars ! on se rebeuffe !’’. Chris essaie aussi de réveiller ses co-équipiers, par dérision il veut écrire sur une pancarte « Joueurs en grève ». Le jeu continue. Puis soudain, Jordan, de l’équipe des sans T-shirt, quitte le terrain. Il s’en va sans dire un mot. Il doit être 11 h 30. Personne ne l’interroge sur la raison de son départ, ni ne tente de le retenir, le jeu n’est même pas interrompu par ce désistement. » (Journal du 23/02/03)
D’un autre côté, il y a ceux dont le comportement montre un attachement fort à « l’entre soi » du rendez-vous, et qui, bien qu’ils quittent la partie avant l’heure, n’oublient pas de rappeler, par des marques de considération, telles qu’un trait d’humour ou l’invocation d’une raison, leur adhésion à celui-ci, comme le montre ce second extrait :
« La partie bat son plein. Les équipes sont à égalité et aucune d’elles ne veut concéder un avantage. Tout d’un coup, Chris sort du terrain et reprend son T-shirt. Comme pour adoucir ce départ surprise qui déstabilise l’opposition, il lance au groupe : ‘éh lé-gar ! m’i ém azot mé mwin nana in repa !’’ » [25] (Journal 26/01/03)
Le dimanche matin, si ces deux postures s’illustrent régulièrement, elles apparaissent néanmoins de manière moins tranchée dès lors qu’elles sont resituées dans la succession des interactions qui constituent le rendez-vous et au cours desquelles se présentent plusieurs fois des situations où les joueurs doivent se déterminer vis-à-vis de la norme de participation, leur choix en la matière ne suivant pas toujours la même ligne. Lors des parties dominicales, ces situations sont généralement celles où le joueur doit décider, par exemple, de venir au match ou pas, d’être à l’heure ou pas, de choisir son équipe ou pas, de justifier son départ anticipé ou pas, d’assister aux conversations d’après-match ou pas. Ces situations s’égrènent donc tout au long de la rencontre et offrent aux joueurs la possibilité de doser l’expression qu’ils souhaitent donner de leur engagement, l’enchaînement de ces situations leur permettant de composer s’ils le désirent un dessin fin de cet engagement, où l’ambivalence est souvent préférée à une position unique. Le rapport des joueurs au cadre temporel de la partie illustre ces dosages. Par exemple, certains joueurs se voient souvent reproché leur manque de ponctualité. D’abord, parce que celui-ci entrave le bon déroulement de la rencontre et oblige quelquefois les joueurs présents à recourir, en début de partie, à des formes de jeu réduites ou même à envisager l’annulation de la partie dominicale. Ensuite, parce que ce manque de ponctualité est considéré, comme l’atteste l’extrait de conversation du bord de touche qui suit, comme un excès d’individualisme, d’une part, parce que les retardataires privilégient sciemment leurs préoccupations personnelles plutôt que l’intérêt collectif, puisque, sur le chemin du terrain, ils s’offrent égoïstement une interminable halte à la boulangerie, sans se soucier des autres joueurs qui les attendent pour débuter la partie et, d’autre part, parce que ce petit déjeuner atteste d’un mode de vie qui ne relève pas de celui de la créolité :
TN : té i joué pa zordi
D : banna i vien zot-la, i vien, i vien
TiF : kél ér i joué, midi
D : ay ! ay ! bann gar té i vien, sar boir ankor le kou
R : ah ! i boi pa i déjen
[…]
R : sa bann star sa mounoir
T-N : la parti pran tidéjené ankor zot-la
R : le tan i asiz ankor térla, i sa joué 11ér, midi mém, pés planét, la na pa tro soléy, giny pa transpiré jordu ék bann ga-la !
[…]
T-N : é sé ki la di aou le stil tidéjené-la
R : sa Félicien sa, sa Félicien la komans sa
T-N : arét plané koué tidéjené, koué tidéjené ! Manj zot kaz la-ba
R : aou kan ou fine béz lo rom i ral pu manj out kaz
T-N : koué tidéjené, arét plané, la proshéne foi nou va voir un boutéy de lait terla, épi lé-ga va serve azot avan joué balon
R : in boutik pou ashté pin shokola, in boutik pou ashté la boison… [26]
Mais, ce sont ces mêmes retardataires qui, plus tard dans le rendez-vous, participent régulièrement aux discussions d’après-match, leur donnant corps en animant ses débats, et qui, quand l’occasion se présente — après une belle partie ou pour un anniversaire — n’hésitent pas à transformer ces séances en moment festif, remettant à plus tard leurs obligations pour se consacrer à la vie du groupe et recréant ainsi par leur engagement la fraternité masculine chère à « l’entre soi » du monde créole, le bord du terrain de football prenant alors des allures de « bord d’chemin » où se ravivent à travers les rencontres, les discussions et les échanges d’alcool, les usages passés :
[… ? Félicien, Rocheteau, Anatole nous distribuent à chacun une canette pour trinquer. Luc qui voit que l’ambiance est guillerette rapproche sa voiture du bord du terrain et allume le poste radio. La musique est un séga mauricien du groupe Kassia. La chanson s’appelle « Tourné, tourné ». Ce tube très prisé dans les boîtes de nuit de l’île connote le moment de bonne humeur et d’insouciance. Durant ces libations, Chris s’éclipse momentanément, il doit passer chez un rôtisseur prendre un poulet grillé pour sa mère.
Chris : ou rés la juska kél ér… m’i sa trap poulé m’i sa améne la kaz, m’i arvien, m’i lé la dan sink minut
Félicien : Marcel inn foi la komand poulé, li la u son poulé laprémidi
Raoul : non mé sé rézérvé Chris…ou la fine péyé
Félicien : dan sink minut mwin lé ankor la mwin
Raoul : dan sis minut li lé pu la [27].
Nous voyons Chris revenir peu après. Il nous dit que la volaille commandée le matin n’est toujours pas prête. […] Luc, Ursule et Anatole viennent à nous quitter. […] Les tournées de bières se succèdent et un « gramoune » (un vieux monsieur) vient se joindre à nous. On lui propose alors un petit verre de rhum-citron. Suite à cette invitation, il prend une mine circonspecte, considère le liquide puis accepte avec plaisir. Sa résistance fut courte.
Raoul : ou boi in rom
Félicien : un rom mesie
[…]
Le gramoune : le rom… m’i boi dolo
Brice : Chris ou lé ankor sélibatér
Le gramoune : a m’i boi pu…
Félicien : sé pou sa m’i té demand aou
Chris : m’a vu boug-la an kur dézintoksikasion…inn édukatér
[Félicien] fé boir ali le rom
Félicien : mwin lé pa okouran lé-gar, mwin la pri lé zinfo an tan réél, mwin na pu intérnét
Chris : in jour nou sa antand témoiniaj in boug, i kash son visage, m’i lé parti térin foutbol pou voir dé-gar joué balon, mé na inn édukatér la sérv amwin le rom, m’i port plint kont X, m’i koné pa son nom [28].
Le dimanche matin, la libre participation contribue donc au premier chef au travail de définition des joueurs, leur manière de s’engager dans le rendez-vous apportant des précisions explicites sur la figure de jeune adulte qu’ils souhaitent réaliser. Cependant, bien que l’on retrouve la hiérarchie des références constitutives de la société réunionnaise, cette hiérarchie n’apparaît pas avec force dans la mesure où, d’une part, ce sont des conduites qui « parlent », ce qui ne mobilise pas toujours les catégories du langage, et où, d’autre part, les joueurs s’abstiennent souvent de faire des commentaires soit par respect pour les implications différentes de chacun, soit pour ménager les joueurs les moins investis dont la participation, aussi modeste soit-elle, est vitale pour le rendez-vous, leur présence permettant de le perpétuer bon an mal an. C’est, en revanche, dans les conversations du bord de touche que la hiérarchie véhiculée par la double référentialité apparaît le mieux, les joueurs, impliqués dans le jeu dynamique des échanges verbaux, étant contraints de mobiliser des références et donc de se situer.
Sociabilité footballistique et ordre diglossique
Sur le bord des terrains, le dimanche matin, les ajustements identitaires des joueurs sont, dans une large mesure, l’œuvre du jeu des références. Nourrissant les conversations, celui-ci permet au joueur de se situer par rapport aux codes de la modernité et à ceux de la créolité, les éléments cités précisant à quel univers se rattache la figure de jeune adulte qu’ils souhaitent exprimer. Toutefois, si, la plupart du temps, ce jeu obéit à l’ordre de la diglossie, il est néanmoins un domaine où celle-ci ne s’applique pas, ou de façon moindre : le football. Introduit sur l’île en 1896, intronisé en 2006 patrimoine de la culture réunionnaise, il est considéré aujourd’hui comme le sport « roi » à La Réunion (Combeau-Mari, 2006). Cet enracinement contribue à faire du football et de sa composante internationale un même univers qui se situe, plus que d’autres activités, hors de la coupure sociale qui organise la vie locale comme l’illustre cette scène rapportée où celui-ci se mêle à une activité emblématique d’autrefois, la partie de dominos :
Chris : ou voi iér m’été Sinpiér m’i té ékout bann ga Sinpiér kozé, nana inn ti tab banna i joué domino akoté Café de la gare… Sa sé suportér la Sinpioroiz, tout la journé pou koz Sinpioroiz, banna pou di tout, konbien lantrénér banna nana etc [29].
Le football offre aux joueurs un espace de définition de soi qui échappe aux stigmates de la diglossie, ceux-ci étant, par exemple, remplacés par ceux de la passion partisane. Dans ce jeu, les références locales sont ainsi majorées sans que ce grandissement ne soit remis en question, l’excellence d’un défenseur de Ligue 1 pouvant être surpassée par celle d’un défenseur de la Saint-Louisienne :
Chris : mwin m’i di aktuélman Von Buiten sé le méyér défanséer o mond
Michel : ah ! Jamé ! Patrick Certa lé le méyér !
Félicien : m’i té kroi ou alé sort in ga konm Nesta… [30]
Dans cette économie des échanges, les références footballistiques importées ne déprécient ni n’écrasent celles de la créolité, comme l’illustre une boutade où l’international italien Vieri est volontairement confondu avec un homonyme local qui officie dans un obscur club inter quartiers des Hauts de la ville :
Antoine : tu sais il y a des grands joueurs qui n’ont jamais gagné la Coupe du Monde
Billich : Petit la jamé giny la koup d’Europe
Antoine : Toti non plus, pourtant Toti c’est un grand joueur, Vieri
[…]
Raymond : Vieri i sava li la
Antoine : Vieri, mi sa dir in bétiz-la, Vieri inter kartié Sinlwi la-o ! [31]
De même, ces références importées ne dévaluent ni n’égratignent celles du football réunionnais alors qu’elles pourraient souligner l’archaïsme de ses structures ou l’engouement surfait dont il bénéficie quand on le rapporte au niveau de jeu proposé. Bien au contraire, via le football, les joueurs sont toujours prêts à tisser des homologies flatteuses d’eux, de leur ville ou de leur club local :
Marcel : pour moi, Saint-Pierre représente plus…C’est la capitale du foot à La Réunion […] Pour te dire, à un moment on s’identifiait à l’OM, pour te dire, on a le port, on a tout ! (rires)
Ainsi, bien qu’ils entretiennent un rapport de méfiance à la métropole, ils n’hésitent pas à s’identifier aux références footballistiques qui lui sont attachées et à s’apparenter à l’équipe nationale ou aux clubs de première division. Dans cette situation, jamais les joueurs ne redoutent d’être accusés d’infidélité à la créolité comme en témoigne cet extrait de conversation sur la Coupe de France où le « moi » et le « je » de Rocheteau (« Amwin » et « m’i ») se confondent avec le club de L1 qu’il supporte :
Anatole : yo, Miky
Candéla : oté Bayonne
Rocheteau : amwin m’i préfèr ét éliminé par Bayonne ke par Paris
Candéla : ah ! Non ! Jamé, jamé [32]
Le dimanche matin, l’univers footballistiques offert par les terrains en synthétique donne aux joueurs l’opportunité de se positionner dans l’espace social sans pour autant qu’ils aient à se situer d’un côté ou de l’autre de la frontière instituée par la diglossie [33]. Ils peuvent ainsi éprouver un attachement à la créolité et aux valeurs de la société importée sans que celui-ci n’entraîne de division de soi ou de dualité conflictuelle, ce qui ne se produit pas pour d’autres domaines de références où la coupure imposée par l’ordre diglossique se retrouve avec force.
C’est notamment le cas lors les conversations du bord de touche quand il s’agit de souligner certains traits de la créolité ou de la modernité présents dans les figures de jeune adulte de chacun. La diglossie offre alors une grammaire du « rire » et de la critique indiquant ce qui doit être attaqué lorsque les joueurs veulent stigmatiser des attitudes trop archaïques ou insolentes ou, à l’inverse, ce qui doit être grandi quand ils souhaitent valoriser des comportements de la culture créole ou de la modernité auxquels ils sont attachés. Dans le cas, par exemple, où ils prennent le parti des normes importées, ils ridiculisent systématiquement les éléments qui se rapportent à une créolité anachronique ou négative, sous-entendant par-là qu’elle agit tel un fil à la patte, comme lorsqu’ils prennent pour cible l’intempérance de certains joueurs qui, suivant les us du quartier, viennent sur le terrain ivres ou presque :
Brice : ah ! Antoine i komans shanj dabitud, li komans ariv sou tér-la ! [34]
Ou de ceux pour qui boire est une habitude avérée :
Martin : Raoul, inn biér ?
Raoul : m’i boi pi lalkol
Félicien : dopi so matin 4ér ou boi pi lakol ! [35]
De même, la mauvaise maîtrise du français est souvent l’objet de raillerie, rappelant à celui qui en est la cible sa position quelque peu « arriérée » :
Le groupe se moque d’Ursule : ou giny pa lir !
dopi ou la arivé ou giny pa lir
li pou gard zimaz tér-la [36]
Une trop forte dépendance au culte est également un prétexte au persiflage :
Romuald : m’i giny pa nir dimansh [Pâques]
Raymond : Romuald i sa rod zef dan la foré ! [37]
Comme l’incapacité à se défaire des normes de la famille créole et de l’obligation de mariage :
Brice : … mariaj Anatole
Antoine : mariaj Anatole ?
Brice : « moi d’mars »
Antoine : moi d’mars ! ça y est, met au feu, met au feu, sa tantine i sort Létan… Rocheteau i sa marié biento !
[…]
Rocheteau : sa parkont i fé shié amwin ! [38]
Réciproquement, les joueurs n’hésitent pas à tacler la modernité quand celle-ci incite à une conduite condescendante à l’égard de la créolité, jugeant qu’elle dégrade ou efface certaines valeurs dans lesquelles ils se reconnaissent, comme lorsque Chris dénonce la soudaine métamorphose de Marcel qui, suite à l’obtention de son concours de policier et de sa mutation en métropole, se distancie des règles du quartier et de ses formes de solidarité :
Enquêteur : c’est Marcel ? il est revenu ?
[…]
Chris : li la pa voulu ral amwin, kan la rant dan la polis, li la di amwin na poin kask. De la kaz atér-la, ‘tann ali, proshin servis va domann amwin, sa dir ali non mi giny pa ! [39]
Ou quand il juge que les joueurs amollis par le confort moderne manquent de virilité, ne déniant plus se risquer à jouer sous un soleil quelque peu ardent :
Chris : alon défoulé, foutbol lé pou aprésié… de toute façon on s’en bat les couilles demain Pâques, si na un ti pe soléy, mét in t-shirt s zot tét, soi nou lé dé-gérié soi nou lé dé-farsér [40].
Ou quand Marcel souligne que Rocheteau utilise l’hygiène comme prétexte fallacieux pour fausser compagnie au groupe et filer à un dancing de jour :
Michel : Rocheteau m’i sort trouv ali, li la di i désand, li biny avan …
Maxime : ahhhhhhh !
Michel : li biny avan joué balon, mord mon pip don, li biny avan joué balon, kan li la fini i mét son kostum i sa Soucoupe volante (discothèque) ! [41]
Dans ce jeu de moqueries où l’ordre diglossique organise les économies de la grandeur, la hiérarchie des références n’est pas constante et si nous avons montré quelques cas typiques où l’archaïsme de la créolité était tancé à partir de la modernité et où l’insolence de la modernité était réprimandée à partir de la créolité, il se peut que ces rapports se complexifient car en la matière tout est aussi question d’habileté sociale et de capacité à jongler avec les références pour retomber sur le bon pied. Ainsi Rocheteau commet-il la maladresse de vouloir stigmatiser Raoul en le faisant passer pour un illettré, ce qui venant d’un pépiniériste comme Rocheteau est pris pour le dernier des snobismes :
Rocheteau reprend pour montrer ses chaussures et parodier Romuald : rod de ga Sinlwi na in soulié kom ou ? rod de ga na soulié 43 é 44 din koté ?
Raoul répète de manière hilare le « karantroit » prononcé par Rocheteau
Rocheteau : Raoul ou giny lir don ?
Raoul et Anatole huent Rocheteau : ouuuuuuuu !ouuuuuuu !ouuuuuuu ! [42]
Le dimanche matin sur le bord de touche, l’expression de la double référentialité permet aux joueurs de souligner certains aspects de la figure de jeunes adultes qu’ils composent. Dans cet entre soi ludique, l’ordre diglossique, bien qu’il stigmatise [43], n’a pas, ou peu, de pouvoir déclassant, l’étiquetage qui en résulte paraissant se limiter à la parenthèse du terrain, et ne pas marquer les individus au-delà. Le rendez-vous dominical semble ainsi, à travers les conversations du bord de touche, l’occasion d’agréger des traits relevant à la fois de la créolité et de la modernité plus que de les sélectionner pour s’affirmer d’un côté ou de l’autre de l’espace social. Durant les échanges, ce qui prévaut est donc moins une cohérence identitaire que la participation à un jeu où chacun joue des « coups » et dont le but, comme l’ont montré les tenants de la sociologie de l’action ou de l’interactionnisme réaliste, est soit de s’assurer du bon déroulement de l’action, soit de préserver la face, c’est-à-dire, pour ces jeunes, de démontrer leur capacité à manipuler ces références, pour faire la preuve qu’ils peuvent se situer d’un bord comme de l’autre de l’ordre diglossique, et ainsi diminuer la coupure qui organise leur existence, ce que ne leur permettent pas toutes les situations sociales qu’ils rencontrent dans la vie ordinaire.
Conclusion
À travers le cas des footballeurs du dimanche matin et de leurs efforts pour composer une figure de jeune adulte qui échappe, autant qu’elle le peut, à la rigidité de l’ordre diglossique qui organise les rapports sociaux à La Réunion, nous avons tenté de montrer en quoi les nouveaux espaces urbains et les formes sportives qu’ils appellent pouvaient favoriser cette démarche. En effet, si la coupure entre la société importée et la société locale est toujours présente, si elle commande encore profondément les échanges sociaux et l’ordonnancement de leurs références, l’observation de ces échanges sur les mini terrains de football en libre accès révèle que dans ces espaces les échanges, bien qu’ils obéissent à un ordre en vigueur, s’en écartent par une production de formes qui situent successivement leurs protagonistes dans chacun des univers autour de cette coupure. De plus, bien que les joueurs évoluent dans un cadre diglossique qui définit a priori la valeur des choses, ceux-ci n’ont de cesse — lors des conversations ou dans leurs actes de participation — de modifier, de truquer, de détourner cet ordre de valeurs, ce qu’ils ne pourraient peut-être pas effectuer si se mêlaient à eux des adultes, représentant ou non d’institutions sportives. De plus encore, ces jeux de renversement qu’ils imposent à la hiérarchie diglossique leur permettent, d’une part, d’affaiblir symboliquement celle-ci — et notamment son pouvoir déterminant — et d’autre part, de baigner dans une économie des échanges sociaux plus souple, où ils peuvent plus aisément faire saillir certains traits de la figure de jeune adulte qu’ils souhaitent exprimer, le fil des situations du rendez-vous dominical leur offrant une multitude d’occasions d’effectuer des ajustements (forcer, atténuer, redessiner un trait), afin que la figure qu’ils tracent réponde à la double attente de modernité et de créolité que génère la société réunionnaise actuelle.
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Wolff Éliane, 2010, La Réunion, une société en mutation, Economica Anthropos.
[1] Il est difficile de donner une définition satisfaisante du concept d’identité tant celui-ci a été utilisé selon des acceptions différentes dans les travaux des sciences sociales. Dans notre texte, le sens employé se rapproche de celui mis en avant par Vincent Descombes dans son ouvrage Les embarras de l’identité quand il présente la notion telle que l’entendent Eriksson et à sa suite les anthropologues américains : l’identité est un sens vécu de soi-même qui pour se réaliser a besoin de s’appuyer sur des idéaux et des modèles du groupe (Descombes, 2013 :30-31).
[2] Dans la littérature savante sur les parties de football informelles (Mauny et Gibou, 2008 ; Trémoulinas, 2008), cette parlure « vacante » est rapportée, entre autres raisons, à la composition hétéroclite du groupe de joueurs, celui-ci réunissant des individus partageant une forte interconnaissance et d’autres, inconnus ou méconnus, mus par une participation opportuniste. Cet hétéroclisme alimente des échanges où chacun veille à ne pas se dévoiler sans toutefois que cette retenue n’entrave la participation collective.
[3] Comme le football« pied d’immeuble » (Travert, 2003), de « trottoir » (Sansot, 1992) ou « sauvage » (Mauny & Gibou, 2008).
[4] « Le terme de diglossie n’est pas le simple équivalent d’origine grecque du terme bilinguisme d’origine latine. Il a été forgé pour nommer une situation sociolinguistique où deux langues sont bien parlées, mais chacune selon des modalités particulières. C’est sur la nature de ces modalités, leur acceptation et leur permanence que les avis divergent : où certains ne reconnaissent qu’un simple partage des statuts et usages parfaitement codifié, d’autres dénoncent un leurre : celui de la préséance d’une langue sur une autre qui, dans la plupart des situations concernées, ne manque pas d’être conflictuelle. » (Henri Boyer, 2001 : 47- 48). Dans ce texte, nous utilisons l’expression ordre diglossique pour désigner la hiérarchie entre la langue française et la langue créole, cette hiérarchie s’exerçant au détriment du créole, celui-ci étant socialement déconsidéré dans les usages officiels.
[5] Principalement ceux du Laboratoire de recherche sur les espaces Créoles et Francophones (LCF).
[6] Parmi les exemples donnés ceux d’un texte de rap ou celui du « parler jeune », dans lesquels se retrouvent une verlanisation de mots créoles (le mot créole « macro » devenant « croma » [Simonin, 2008 :81], la création de syntagmes créole-anglais (comme « Totoss’your mother », totocher voulant dire taper [Ledegen, 2004 ; 15, 22]) ou la création de néologismes créoles à partir d’un morphème français (comme le néologisme « Paralge » [Ledegen, 2004 : 22]).
[7] Composé de 39 joueurs, ce groupe est principalement issu d’un milieu populaire. À quelques exceptions près, un fils de garagiste à l’activité florissante, un fils d’officier de pompier et trois fils d’institutrices, l’ensemble des joueurs vient de familles modestes dont les pères sont soit ouvrier à l’usine sucrière du Gol, agent de mairie, coiffeur, manutentionnaire, pompiste, vendeur ou sans emploi et, pour les mères, employées de maison ou femmes au foyer. Parmi ces joueurs, tous sont croyants de confession catholique ou tamoul, et bien que, au quotidien, la majorité ait pris ses distances avec une pratique religieuse régulière, certains y sont toujours très impliqués, ajournant, par exemple, leur participation au rendez-vous matinal du dimanche en raison d’un baptême catholique ou d’un carême tamoul. Ce groupe de jeunes est aussi fortement métissé, ce qui reflète une faible endogamie, l’endogamie étant, selon Cambefort (2001) et Wolff (1989), un trait des communautés minoritaires mais socialement dominantes de La Réunion, comme les « Blancs installés depuis plusieurs générations », les « Chinois », les « Musulmans » et les « Indiens ». Enfin, sur les 39 joueurs, 25 habitent, à Saint-Louis, les trois quartiers attenants de Roches Maigres, Pont Neuf et Plateau Goyaves qui ont été bâtis durant la première vague de rénovation urbaine de l’île entre 1978 et 1986 (Wolff, 1989) et qui ont accueilli dans leurs logements sociaux une première génération « d’urbains », ceux-ci délaissant un habitat rural ou dépendant de l’exploitation sucrière, et faisant ainsi, pour la première fois, la double expérience d’une condition de vie prolétarienne et d’activités citadines (Benoist, 1983 : 49).
[8] Entre 2003 et 2004, trente-quatre de ces jeunes avaient 27 ans ou moins, cinq d’entre eux étaient lycéens, quatre étaient étudiants, vingt-cinq étaient dans la vie active. Parmi ceux-ci, onze étaient au chômage, celui-ci touchant, en 2003, 33% de la population réunionnaise en âge de travailler et 53% des 15 à 24 ans (Hecquet et Parain, 2006). Bien qu’il y ait dans le groupe deux professeurs des écoles, un ingénieur en urbanisme et un agent de banque, la majorité des professions embrassées relevait de filières courtes et spécialisées comme coiffeur, pépiniériste dans un magasin de jardinage, agent de sécurité, chef de rayon, grutier, illustrant qu’à La Réunion, seulement 56 % des jeunes poursuivent leurs études (Insee, N°134 - Janvier 2010) ; ou, suite à l’obtention d’un concours de la fonction publique, aide-soignant, policier, éducateur spécialisé. Le groupe comptait aussi six joueurs non diplômés, ayant cessé leur scolarité au cours du secondaire, parmi lesquels trois étaient salariés et occupaient un poste de livreur de lit, de vendeur dans un magasin d’ameublement, de gardien municipal. Sur ces vingt-cinq joueurs plongés dans la vie active, seize habitaient encore chez leurs parents et cela même si, pour six d’entre eux, ils avaient un emploi, une copine et une voiture. À La Réunion, un jeune sur deux réside encore au foyer parental quand il a 25 ans (Insee, 2006), tendance d’autant plus forte que l’on s’approche des milieux défavorisés : en 2003-2004 la plupart des joueurs, bien que lancés dans la vie active, continuait à habiter leur quartier d’origine et, quand ils l’avaient quitté, logeaient généralement dans une autre aire de Saint-Louis ; seuls deux joueurs, issus de l’un des trois quartiers cités précédemment, étaient partis vivre à Saint-Pierre, sous-préfecture du sud de l’île, à peine distante de 15 kilomètres.
[9] Nous remercions Giovanni Prianon, Professeur des Ecoles habilité en Langue et Culture Régionales (Créole réunionnais), pour la transcription des énoncés créoles des footballeurs du dimanche matin en une graphie créole proche de la graphie 77. Toutefois, pour ne pas pénaliser le lecteur non créolophone, l’ensemble des énoncés en créole est traduit en français dans les notes de bas de page.
[10] Chris : moi, je ne sais pas quoi faire en France, dès que tu sors de l’avion, le froid te saisit […]Chris : j’ai été dans un magasin, les vigiles m’ont suivi et tout, ils m’ont dit : « toi, ouvre ton bagage ! ». Ils m’ont fouillé, ils croyaient que j’avais volé couillon
Romuald : assigne-les en justice, ils n’ont pas le droit de faire ça
Félicien : toi tu vas mettre en route deux trois procès là-bas
Raoul : déjà quand tu rentres dans l’avion, on t’embête
[11] « C’était un petit terrain du quartier, un terrain « la poussière »… Pas un terrain délimité, ce n’était pas comme aujourd’hui où il y a des terrains synthétiques partout. C’était juste des terrains « la poussière », pour le goal, tu prenais deux gros cailloux, tu les mettais là, deux gros cailloux… »
[12] « À cette époque beaucoup de joueurs regardent assidûment Téléfoot ». (Entretien Chris).
[13] « Je me suis mis au basket, un sport que je déteste ! Ah ! Pour moi, le basket, c’est un sport de femme ! »
[14] Entre le milieu des années 1990 et 2010 trois autres mini terrains de football en gazon synthétique ont fleuri dans les quartiers de Saint-Louis. Nous ne citons que ceux de Plateau Goyaves et de Plateau Maison Rouge car ce sont ceux régulièrement fréquentés par le groupe de joueurs suivi lors de l’enquête.
[15] « Un jour, il m’appelle, il me dit « allons faire un foot à Plateau Goyaves ! » Moi, je ne connaissais pas ce terrain synthétique. Je suis parti jouer, je l’ai essayé, je me suis dit : « il est cool ce terrain ! »
[16] Bouba : hier il y avait six contre six… vous avez joué sur le terrain en black
Candéla : non, sur un terrain machin
Bouba : je ne joue plus sur le black, ça abîme trop mon genou, il faut que je coure 20, 30 minutes avant
Michel : il faut arrêter de jouer sur le béton, les gars
Candéla : tu sais pour les genoux, il n’y a rien qui les abîme plus […]
Bouba : le synthétique, ça amortit.
[17] « Arrivé sur un terrain comme ça, je te dis, déjà le décor ça te change ! »
[18] Ils en pâtissent aussi quelquefois quand ces terrains sont investis par d’autres équipes et qu’ils sont obligés de migrer vers des terrains moins confortables ou d’annuler le rendez-vous.
[19] Michel : bééé, bééé… moi, je trouve que c’est cool, il reste encore une petite part de nature
Candéla : ça, quand ça traverse la route
Michel : quand ça traverse la route, personne ne les dérange, ça peut être terrible aussi, non mais : excuse-moi, Monsieur le Cabri
Candéla : fais attention, qu’il ne te donne pas un coup de corne !
[20] Marcel : qu’est-ce qu’elle vient chercher ici ?... Oh ! Eh ! Miss dimanche matin !
Martin : elle s’en va en boîte ou elle revient de boîte ?[…]
Raymond : elle sait qu’il y a des mecs ici !
Marcel : au plaisir, mademoiselle !
Raymond : la fille, elle nous a vus…
Marcel : elle va à Score (au supermarché).
[21] Le vieux Monsieur : Félicien, comment ça va ?
Félicien : Comment ça va William ?
Le vieux Monsieur : vous jouiez là ? Vous jouiez au football ?
Félicien : oui
Le vieux Monsieur : là ?
Félicien : oui, nous sommes fous
Le vieux Monsieur : oui là par contre vous êtes très fous
Félicien : bien on a envie
Le vieux Monsieur : Rocheteau aussi ?
Félicien : oui !
[22] Pour un exposé des différentes modalités d’engagement dans ces parties dominicales, lire S. Cubizolles (2010).
[23] Rappelons encore que si depuis d’autres sphères comme le foyer, le travail, cet attachement au match du dimanche matin peut être regardé comme un temps privé synonyme d’individualisation, pour les joueurs, à l’inverse, cet attachement est considéré comme une marque d’adhésion à des valeurs collectives dont beaucoup sont liées à une définition de « l’entre soi » tel qu’il se conçoit dans l’univers créole. C’est donc à travers la distance au rendez-vous, entre autres éléments de jugement, que les joueurs du dimanche matin apprécient le degré d’individualisation que chacun donne à la figure de jeune adulte qu’il incarne.
[24] Cette expression peut être prise comme un synonyme de l’expression populaire courante « gars du coin », gars du quartier ».
[25] « Hé les gars ! Je vous aime tous mais là j’ai un repas ! »
[26] TN : on ne joue pas aujourd’hui
D : si, ils viennent, ils viennent, ils arrivent
TiF : à quelle heure on va jouer, midi
D : hé, hé, les gars arrivent, ils sont encore partis boire un coup
R : non, ils ne boivent pas, ils prennent leur petit déjeuner […]
R : ce sont des stars, mon pote !
T-N : ils sont partis petit déjeuner, bien on n’a pas commencé
R : le temps qu’ils arrivent encore, on va jouer ce sera 11 heures, midi même, quels hurluberlus, en plus il n’y a pas de soleil, on va pas transpirer aujourd’hui avec des gars comme eux […]
T-N : et qui t’a dit qu’ils étaient en train de petit déjeuner ?
R : c’est Félicien, c’est Félicien qui a commencé avec ça
[27] Chris : vous restez là jusqu’à quelle heure ? Je vais chercher le poulet, je l’apporte chez moi, je reviens, je suis là dans cinq minutes.
Félicien : l’autre jour, Marcel a commandé un poulet, il l’a eu dans l’après-midi !
Raoul : non, mais le poulet est réservé… Chris tu l’as déjà payé ?
Félicien : dans cinq minutes, je suis encore là moi
Raoul : dans six minutes, il n’est plus là.
[28] Raoul : vous buvez un rhum ?
Félicien : un rhum monsieur ? […]
Le gramoune : le rhum… je bois de l’eau
Brice : Chris tu es encore célibataire ?
Le gramoune : ah je ne bois plus…
Félicien : c’est pour ça que je vous ai posé la question !
Chris : j’ai vu ce Monsieur en cure de désintoxication…un éducateur
[Félicien] lui fait boire du rhum
Félicien : je ne suis pas au courant les gars, j’ai pris les informations en temps réel, j’ai plus internet
Chris : un jour on va entendre le témoignage d’un monsieur, il va cacher son visage, je suis parti sur le terrain de football pour voir des gars jouer, mais il y a un éducateur qui m’a servi du rhum, je porte plainte contre X, je connais pas son nom.
[29] Chris : tu vois, hier j’étais à Saint-Pierre et j’écoutais les gars de Saint-Pierre causer, à côté du Café de la gare il y a une petite table où ils jouent aux dominos. Ça c’est des supporters de la Saint-Pierroise, toute la journée ils parlent de la Saint-Pierroise, ils connaissent tout du club, le nombre des entraîneurs…
[30] Chris : moi je dis que, actuellement, Von Buiten, c’est le meilleur défenseur au monde
Michel : ah ! Jamais ! Le meilleur, c’est Patrick Certa
Félicien : moi, je croyais que tu allais dire un gars comme Nesta
[31] Antoine : tu sais il y a des grands joueurs qui n’ont jamais gagné la Coupe du Monde
Billich : Petit il n’a jamais gagné la Coupe d’Europe…
Antoine : Toti non plus, et pourtant Toti c’est un grand joueur, comme Vieri
[…]
Raymond : Vieri, il va partir
Antoine : Vieri, je vais dire une bêtise attends, Vieri qui joue en inter quartier dans les Hauts de Saint-Louis !
[32] Anatole : yo, Miky !
_Candéla : hé Bayonne !
Rocheteau : moi je préfère être éliminé par Bayonne que par Paris
Candéla : ah ! Non ! Jamais, jamais
[33] Toutefois, quelques exemples montrent que s’ils le souhaitent les joueurs peuvent importer le rapport diglossique dans le domaine du football. Par exemple, Michel, pour se valoriser, rappelle que lors de son voyage en métropole pour assister au match de l’Olympique de Marseille contre le Real Madrid, il a vu Zidane, Raul, Ronaldo et Beckham s’échauffer à ses pieds. Remarque sur laquelle Ursule ironise en répondant que lui aussi, la semaine passée durant le match Saint-Louis contre Saint-Pierre, il était tout proche d’Herman Trulès (capitaine de la Saint-Louisienne) pendant l’échauffement.
[34] Brice : ah ! Antoine commence à changer d’habitude, il commence à arriver saoul ici !
[35] Martin : Raoul, une bière ?
Raoul : je ne bois plus d’alcool !
Félicien : depuis ce matin 4 heures tu ne bois plus d’alcool !
[36] Le groupe se moque d’Ursule : Tu peux pas lire ! Depuis que tu es arrivé tu n’arrives pas à lire
En fait il regarde les images !
[37] Romuald : je ne pourrais pas venir dimanche (de Pâques)Raymond : Romuald, il va chercher les œufs dans la forêt !
[38] Brice : …le mariage d’Anatole
Antoine : le mariage d’Anatole ?
Brice : il se fera au mois de mars
Antoine : le mois de mars ! Cy est, mets au feu, mets au feu, ça c’est une fille qui vient du quartier de l’Etang… Rocheteau va lui aussi se marier bientôt ! _ […]
Rocheteau : ça par contre ça m’embête !
[39] Chris : il n’a pas voulu venir me chercher (en moto), depuis qu’il est devenu policier, il me dit non, que je n’ai pas de casque. Depuis la maison à ici ! Attends, le prochain service qu’il va me demander, je vais lui dire non, je ne peux pas !
[40] Chris : défoulons-nous, le football c’est fait pour se faire plaisir… De toute façon, on s’en bat les couilles, demain Pâques, s’il y a un peu de soleil, mettez votre t-shirt sur la tête, soit nous sommes des guerriers, soit nous sommes des plaisantins !
[41] Michel : Rocheteau, je viens de le croiser, il a dit qu’il descend, il prend sa douche avant…Maxime : ahhhhhh !
Michel : il se douche avant de jouer au foot, mon œil, il se douche avant de jouer au foot, quand il a fini il met son costume et il va à la Soucoupe volante (discothèque) !
[42] Rocheteau : tu trouves un seul gars à Saint-Louis qui a des chaussures comme toi ? Cherche un gars qui a une paire de chaussures avec une du 43 et l’autre du 44 ! Raoul répète de manière hilare le « quarantetroite » prononcé par Rocheteau
Rocheteau : Raoul, tu sais lire toi ?
Raoul et Anatole huent Rocheteau : ouuuuuuuu !ouuuuuuu !ouuuuuuu !
[43] Comme le montre l’exemple ci-dessus de Rocheteau qui devient la risée du groupe en raison de son échec à manipuler la double référentialité.