Skateboarding should be a crime
A-t-on tous bien en tête cette scène de « Kids » de Larry Clark (1995), le film le plus dur sur la condition de jeune urbain vers la fin du siècle dernier, en particulier les skaters violents et atteints du sida par pure indifférence à la vie, cette scène dans laquelle une bande de riders skatant vaguement dans un parc public, finissent par massacrer à l’aide de leurs planches un afro-américain de classe moyenne, sans que rien n’ait spécialement préparé le spectateur à une séquence de pure violence urbaine ? Il s’agit là, à mon avis, de l’apogée de cette rencontre à l’origine assez improbable entre les mondes du skate, le désespoir no future du punk et la violence ordinaire des grandes métropoles au tournant des 20 et 21èmes siècles. Jusque là, même si les épisodes violents dans lesquels des skaters étaient impliqués ne manquaient pas, leur irruption dans la narration branchée du cinéma underground, via le travail d’un director certes fasciné depuis toujours par les attributs de la jeunesse violente (on pense au travail de Clark, cette fois-ci photographe, sur les jeunes « marginaux » de Tulsa en 1971), me semble dater de ce film là. A partir de « Kids », nul ne sera plus sensé ignorer que le skateboarding, le punk, la violence et les espaces publics de la grande ville contemporaine, une fois mis ensemble par des groupes de jeunes, ne tardent pas à être considérés comme la source de sérieux problèmes publics, ces jeunes comme les espaces dont ils pratiquent l’usure.
Depuis la sortie de ce film, les skaters ont oscillé entre une image cool (mais pas hypercool [1]) de surfers des villes (les longboarders en particulier) et celle de punks agressifs hantant hâtivement les ruines et les dépotoirs de la rêverie américaine effilochée des suburbs. Là - même si une partie non négligeable du monde du skate a vendu son corps à la société du spectacle et à l’industrie du sport -...
Scène 1. Il est 15 heures passé de quelques minutes ce mardi de septembre 2006 lorsque Julien, skateur confirmé, est interpellé par la police municipale de Montpellier alors qu’il s’essaie à quelques figures acrobatiques sur un de ses spots favoris, la Place Albert 1er. Cela faisait une demi-heure environ qu’il traversait le parvis de l’église à vitesse coulée, sautant les quelques marches précédant les rails du tramway, glissant sur la wax qu’il avait préalablement déposé sur le bord empierré d’un massif arbustif pour concomitamment le rendre plus « glissable » et le protéger des chocs de sa planche, évitant soigneusement les trottoirs opposés où quelques commerçants bien identifiés se plaisaient à se plaindre du bruit inhérent à la roule urbaine et du stress généré sur leur clientèle respective. Ils ne lui ont laissé aucune chance de fuite ou d’échappatoire dans une des artères adjacentes et l’ont « pincé les doigts dans le sac », ou plus exactement les pieds sur la planche. Il tente bien une négociation, plaidant un comportement responsable, évitant les sorties d’école, les heures d’office ou les jours d’influence dans les comportements d’achalandage, slalomant « au large » entre les très rares passants… Rien n’y fait. En application d’un arrêté municipal interdisant la pratique en dehors des espaces qui lui sont expressément dévolus, la double sanction tombe : procès-verbal de première catégorie qui le renvoie à une appartenance à un groupe social délinquant au même titre qu’un vulgaire contrevenant routier, confiscation de l’objet du délit – pour l’anecdote un matériel plutôt en fin de vie mais précieux au regard d’un coût assez prohibitif même pour un jeune issu de classes moyennes intellectuelles supérieures. Julien repart, furieux, en direction de son domicile, lançant une rafale de SMS pour prévenir les membres de la communauté qu’il connait de cette nouvelle...