Préambule
Dans son livre La force de l’âge (1960), Simone de Beauvoir rapporte son expérience après une chute d’une corniche durant l’escalade des Trois-Évêchés. Elle rapporte un événement vécu lors d’un été passé dans le sud-est de la France pendant les années 1930 :
« Eh bien voilà ! me dis-je. Ça arrive, ça m’arrive, c’est fini ! » Je me retrouvai au fond du ravin, la peau de la cuisse arrachée mais les os indemnes ; je m’étonnai d’avoir éprouvé si peu d’émotion quand j’avais cru frôler la mort. Je ramassai mon sac, je galopai jusqu’au Lauzet, j’arrêtai une auto de l’autre côté de la montagne, au chalet-hôtel du Col d’Allos ou je m’endormis en me disant sombrement : « j’ai perdu une journée ! »’. (1960 : 240-241).
En tant que chercheur qui, entre autres choses, étudie les lieux vertigineux et les pratiques à haut risque, j’ai également raté des ascensions et subi de telles chutes. En fait, une vision obsédante me hante continuellement – celle de quelqu’un qui hisse mon corps entravé du fond d’un précipice abrupt que je viens d’explorer seul. L’objet de la recherche anthropologique n’a pas vocation à se pencher sur ce type d’obsessions individuelles, ni même de comprendre pourquoi des gens s’adonnent à de telles pratiques à titre singulier. Cela serait plutôt le domaine du psychologue. Ce qui intéresse l’anthropologue, c’est l’aspect social de la question, son contexte et les interconnexions entre le « comment », le « quand » et le « où » de telles activités. L’idée de recourir à une introspection personnelle, comme l’invite à le faire l’expérience de Simone de Beauvoir, est d’ouvrir sur des questions plus larges que pose le choix de courir des risques, le désir d’éprouver des frissons et de se divertir par le biais d’expériences aventureuses.
La distorsion du temps est...